Auditorium Rainier III, Compte-Rendu
Sergej Krylov (violin), Jukka-Pekka Saraste (conductor), Orquestre Philharmonique de Monte-Carlo
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Emmanuel Andrieu, November 2020
“The interpretation of the Russian violinist …makes us rediscover the score as if it was our first day. With guts and panache, the soloist demonstrates a refreshing creativeness, especially in the adagio, singing like never was done before, bringing out a brilliant musicality. Impeccable technique, sensibility on the verge, sumptuous sound (ah… the low and medium registers!!), incandescent lyricism … everything was there!”
COMPTE-RENDU, concert. MONACO, Auditorium Rainier III, le 1er novembre 2020. Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo, Sergej Krylov (violon), Jukka-Pekka Saraste (direction). A l’heure où l’Europe se reconfine et que toutes les salles de concerts du vieux continent ont fermé leurs portes, Monaco fait figure d’exception, et se présente comme un havre pour le mélomane. De fait, tant sa saison d’opéra – l’on donnera très prochainement Carmen avec Aude Exrémo dans le rôle-titre – que sa saison symphonique sont pour l’instant maintenues, et c’est ainsi que nous avons pu assister au 8ème concert symphonique de la saison 20/21 de l’Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo.
Mais si la Covid-19 est peu présente sur le Rocher (on y compte moins de 10 décès liés à la maladie depuis le début de l’épidémie), elle n’en a pas moins chamboulé le concert initialement prévu : Bertrand de Billy a dû rester confiné et le violoniste russe Valeriy Sokolov a été testé positif à l’aéroport de Moscou juste avant d’embarquer pour Nice!… C’est ainsi à la rescousse et à la dernière minute que le chef finlandais Jukka-Pekka Saraste (portrait ci dessus, DR) et le violoniste russe Sergej Krylov ont repris le flambeau des mains de leurs confrères respectifs. Le programme aussi a dû être modifié et à la place du Cto pour violon N°3 de Saint- Saëns, c’est au final le célébrissime Cto pour violon N°1 de Bruch que le soliste a interprété !
Lauréat du Fritz Kreisler Violin Competition, le violoniste moscovite est également chef d’orchestre, et dirige l’Orchestre de Chambre de Lituanie depuis 2008. Délaissant Saint- Saëns, c’est donc à Bruch qu’il préfère se confronter. Des trois concertos pour violon le compositeur allemand composa, seul le premier connut un véritable succès. Mais quel succès ! Bruch lui-même ne tarda pas à s’en irriter : « Je ne veux plus entendre ce concerto ! n’ai-je composé que celui-là ? » déclarait-il aux solistes qui venaient l’interpréter devant lui, disant sa préférence pour le suivant (tandis que Brahms avait de son côté une prédilection pour le troisième…). Et c’est un choc pour nous que l’interprétation du violoniste russe, qui nous fait redécouvrir la partition comme au premier jour. Avec du cran et du panache, le soliste fait preuve d’une invention rafraîchissante, notamment dans l’adagio, chantant comme jamais,et qui fait ressortir une musicalité géniale. Technique impeccable, sensibilité à fleur de peau, sonorité somptueuse (ah les registres grave et médium), lyrisme incandescent et sensualité slave, tout y est !
Conditions sanitaires obligent, pas d’entracte, et Saraste embraye – juste après l’incontournable bis du soliste – sur la 3ème Symphonie de Bruckner (dédiée à Richard Wagner, comme on le sait…), et c’est la seconde version qui est ici jouée. Bruckner entama la composition de sa Troisième Symphonie à la fin de l’année 1872, et la termina l’année suivante. En septembre 1873, le compositeur rendit visite à Wagner qui accepta la dédicace de ce nouvel opus brucknérien, en le priant cependant d’y enlever les nombreuses citations de ses opéras, incluses dans la partition. En 1877, Bruckner fera une révision complète de sa symphonie, la raccourcissant de dix minutes environ.
A l’issue des soixante minutes que dure cette symphonie, les qualités de l’interprétation de Saraste l’emportent sur les quelques réserves que nous pourrions faire ici où là dans chacun des quatre mouvements. La première qualité en est la beauté et la rondeur de la sonorité du somptueux Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo, qui est en fait une des caractéristiques du style de ce chef.
Il sait par ailleurs toujours trouver le bon tempo pour chaque mouvement, et il réussit à offrir ce fameux « souffle » si inhérent et essentiel à la musique de Bruckner. Cela est spécialement perceptible dans les moments apothéotiques des premier et deuxième mouvement. Car tous les connaisseurs du compositeur autrichien savent que maintenir le « souffle » est une des plus grandes difficultés de cette musique, pari que chef et orchestre monégasque réussissent avec brio et éclat!